
Le lendemain, mon dernier jour en Pologne, le soleil brille. Je mets mes bottes que j’avais prises pour l’occasion, heureusement !, et me mets en chemin pour Drozdowo.
Je traverse un long pont qui passe au-dessus d’un grand fleuve partiellement glacé. J’ai repéré sur la carte que je dois ensuite longer ce fleuve en prenant à droite. Un panneau indiquant le village de Drosdowo me permet de me confirmer que je suis sur la bonne route. Mais le chemin me semble long, plus long que je ne l’imaginais. La route est relativement verglacée et il y a rarement un trottoir. J’avance donc doucement, à moitié au milieu de la route, là où la glace a disparu. Cependant c’est une promenade très agréable. Emmitouflée sous plusieurs épaisseurs j’admire le magnifique paysage enneigé bercé par le soleil. La forêt profonde d’un coté, le fleuve prisonnier de la glace de l’autre. La route est souvent ponctuée de villages dont j’espère toujours qu’il s’agit de celui que je cherche… en vain !
Finalement, après avoir traversé le parc national de Biebrza j’arrive enfin à Drozdowo. J’ai de la chance, il y a même un musée dans ce minuscule village. Je frappe. Une femme ouvre la porte. Elle ne parle pas anglais mais lit le papier explicatif que je lui tends. Elle appelle quelqu’un et m’invite à entrer. Un homme arrive. Il parle anglais, et en plus il est historien ! C’est un étrange personnage. Il semble à la fois énervé que j’arrive ainsi sans prévenir, surpris que j’ai fait tout ce chemin depuis Berlin (en particulier quand je lui raconte que j’ai marché 7 km pour venir) et content d’avoir une mission aussi inattendue qu’intéressante. Il me pose des questions sur ma famille, sur mon arrière-grand-père. Mais je ne peux guère l’éclairer, disposant moi-même de bien peu d’informations.
Il me raconte qu’à l’époque où mon arrière-grand-père vivait dans ce village, cette partie de la Pologne avait été envahie par les Russes qui avaient enrôlé de force les jeunes du village dans leur armée. Se peut-il que mon arrière-grand-père ait fait parti de ces jeunes ? La date de naissance que je lui fournis est trop ancienne pour qu’il soit enregistré dans les registres consultables sur Internet. L’historien tente de joindre le curé pour pouvoir consulter les archives de la paroisse. Malheureusement celui-ci est injoignable. Il me propose alors de me rendre au cimetière pour voir si je trouve des tombes avec le nom de mon arrière grand-père. C’est une excellente idée que je n’ai malheureusement pas eu dans le village de mon arrière grand-mère.
Le cimetière de Drozdowo est à quelques centaines de mètres de là. En y arrivant je comprends pourquoi nous ne parvenions pas à joindre le curé. Ce dernier se trouve en effet au cimetière, pour un enterrement. Je m’éloigne et me place à l’autre bout du cimetière pour commencer ma recherche qui me semble vouée à l’échec. Pourtant la chance me sourit. Dans l’une des allées extérieures je découvre une tombe avec le nom de Wykowski inscrit dessus, le nom de mon arrière-grand-père ! C’est une étrange sensation que de voir ce nom parfois évoqué dans la famille et qui se concrétise sur une dalle de marbre, si loin de chez moi. Je continue mon exploration et découvre une dizaine d’autres tombes sur lesquelles sont inscrits Wykowski, ou Wykowska pour les femmes. Les tombes sont pour la plupart en bonne état, entretenues et fleuries, certaines dates de décès sont récentes. Il n y a pas de doute, une partie de ma famille vit toujours ici à Drozdowo.
Excitée par ces découvertes je retourne au musée pour en parler avec l’historien. Celui-ci est introuvable pendant 10 minutes, je commence déjà à songer au long retour qui m’attend. Finalement l’historien surgit. Je lui raconte ce que j’ai trouvé. Il me dit que de son coté il n’a toujours pas pu joindre le curé. Nous échangeons nos adresses mail et je lui promets de l’informer la prochaine fois que je débarque dans le village. Très gentiment il appelle un taxi qui me ramène à mon hôtel. J’y récupère mes affaires, traverse le joli village de Lomza à pieds, et retrouve tant bien que mal la gare routière.
Le chemin du retour en bus est toujours aussi enchanteur, le soleil couchant rougit la cime des forêts profondes et la neige étendues dans les plaines. Quand j’arrive à Varsovie il fait déjà nuit. Je dîne dans la gare souterraine riche en petits cafés et restaurants équipés d’Internet. A 22h je prends un métro jusqu’à une autre gare d’où mon bus pour Berlin part. J’ai une petite frayeur en voyant que mon bus n’est pas affiché sur le panneau. Il doit s’agir d’une erreur car celui-ci arrive pile à l’heure. Je monte dans le bus, recule mon siège et m’endort presque immédiatement. Heureusement que j’ai mis mon réveil, il me tire de mon sommeil au moment où le soleil commence à éclairer les rues berlinoises. Me voilà de retour dans ma ville d’adoption après un voyage court mais riche en émotions.